Le chapitre des chapeaux

 

Tous les ans, à peu près vers la même époque, elle revient la sem­piternelle question des chapeaux féminins au théâtre.

À vous en faire le franc aveu, je serais pendu pour dire où elle en est : laissez-moi même vous déclarer qu’elle me laisse d’un froid quasi polaire.

Tout ce que je crois savoir, c’est qu’en certains établissements les dames sont contraintes de déposer au vestiaire leur encombrant galu­rin, ce qui leur fait pousser des clameurs sauvages.

En d’autres, elles sont loisibles d’arborer sur leur tête charmante les plus volumineux édifices, ce qui transforme leurs voisins de der­rière (avez-vous remarqué l’égoïsme des voisins de devant ?) en autant de putois sans éducation ni bienveillance.

Encore une fois, cet état de choses me plonge dans de véritables tor­rents d’indifférence saumâtre : accoutumé depuis longtemps à, le soir, partager mon temps entre l’étude et la prière, je me fous de tout ce qui peut se passer dans toutes ces saloperies de spectacles.

Si je m’en occupe aujourd’hui, c’est uniquement poussé par le lucre, le hideux lucre, comme vous allez pouvoir en juger par la lecture du dernier passage de cette étincelante chronique.

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Quand Victor Hugo vint à mourir, la première idée qui vint à tout le monde fut d’enterrer le pauvre grand défunt...

Pourquoi riez-vous ?

Je reprends :

Quand Victor Hugo mourut, la première idée qui vint à tout le monde fut d’enterrer le pauvre grand défunt au Panthéon.

Pour de chouettes funérailles, se disaient les gens, ça va être de chouettes funérailles.

Et ce furent, en effet, de chouettes funérailles, comme vous dites en votre trivial jargon.

Vous êtes tous trop jeunes pour vous rappeler cela, mais la moin­dre ouverture de laquelle on pouvait voir passer le lugubre ( ?) cortège se louait son pesant d’or, si tant est qu’une ouverture puisse peser quelque chose.

On cite un balcon des Champs-Élysées qui fut concédé moyennant dix modestes billets de mille.

Les plus humbles fenêtres du cinquième étage ne connaissaient de tarif inférieur à un louis.

Chargé par une famille de province de lui assurer quelques-unes de ces places, j’entrai dans une maison de la rue Soufflot, tout près du Panthéon, et qui portait un écriteau :

 

Fenêtres à louer

 

– C’est au premier étage, me dit la concierge.

Je la vois encore, cette concierge !

Au premier étage, me fis-je, bigre ! Ça va être chaud.

– Combien la fenêtre ?

– Cinq francs.

Allons, ce n’était pas trop cher et je voyais luire en mon esprit les horizons bien doux des hautes majorations.

– Pourrais-je voir la fenêtre ?

– Parfaitement, montez avec moi.

Je vous ferai grâce de la description de mon ahurissement, facile d’ailleurs à se figurer, dès que vous aurez appris que la fameuse fenê­tre à cent sous donnait non pas sur la rue Soufflot en personne, mais sur une cour intérieure, sorte de puits où les yeux les plus félinesques n’auraient su distinguer un hippopotame d’avec une vieille boîte à sardines.

Plus encore stupéfait qu’irrité :

– Pardon, madame, fis-je avec la plus exquise douceur, j’ai bien peur qu’on n’aperçoive pas, d’ici, grand détail des obsèques.

– Oh ! faut pas vous monter le coup, vous ne verrez rien...

– Mais alors ?

– Vous ne verrez rien, mais vous entendrez parfaitement.

Il est certain que pour cinq francs, c’est tout ce que j’étais en droit d’exiger de cette femme fertile en ressources.

Avez-vous saisi la poloche ?

Les directeurs de théâtre ne seraient-ils pas bien avisés, dans le but de satisfaire du même coup deux clientèles, celle des dames à chapeau et celle des peu fortunés amateurs de spectacles, en autorisant les pre­mières à conserver toutes leurs fanfreluches de tête et en abaissant le prix des places assises derrière ces gracieuses murailles ?

Comme pour l’enterrement de Victor Hugo, on n’y verrait rien, mais on entendait parfaitement.

Je propose, bien tranquille sur son sort, cette ingénieuse solution.

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En voici une autre sur laquelle, celle-là, je compte d’autant plus énormément qu’elle repose sur une affaire où j’ai mis mes petites éco­nomies.

C’est le Chapeau de théâtre dégonflable.

Composé de soies analogues à celles qui servent à former les bal­lons, soies artistiquement découpées et coloriées, ce chapeau gonflé ne se distingue des autres que par plus de grâce et d’élégance.

Dégonflé, il se rabat sur les cheveux de la dame, formant une déli­cieuse coiffure d’intérieur.

Une mignonne pompe en aluminium et un simple robinet permet­tent en quelques secondes d’opérer l’une ou l’autre de ces transfor­mations.

Je citerais volontiers le nom de l’industriel parisien qui va prochai­nement lancer cette charmante innovation, mais ma chronique aurait l’air d’une réclame, ce que je veux éviter par-dessus tout.

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